Le Lac de la Prade, magnétique

Tu traverses la place géométrique de Bazas. Tu descends le village par une ruelle. La gravité accélère ta course (le bagnat que tu as mangé à midi, aussi). Tu t’extraits de l’enceinte du bourg via un sentier en épingle.

En contrebas, des jardins bordent la rivière. Le chemin est agréable avec ses arbres en auvent. Plus loin, tu croises des gens en pique-nique. Tu les salues. Ils ne te répondent pas. Tu as disparu, les gens ne te voient plus. La clef des champs est à toi.

Il te faut encore sortir du bourg. Vite. Tu croises une route, puis un lavoir, puis une autre route, dangereuse à traverser. Tu tends l’oreille, passes comme un loup. Les champs sont là. Tu peux t’envoler en balade.

Des pavillons ponctuent le paysage. Tu t’engages sur un chemin d’herbes, à travers champs et bosquets. C’est la campagne, tu es seul. Au loin une maison abandonnée te fait de l’oeil. Tu partirais bien par les prés, l’explorer. Tu suis le sentier.

Le chemin est plat, facile, un peu longuet. Tu vérifies ton guide de balades. Ah oui, il y a une heure pour aller du bourg au lac. Tu pensais que c’était plus près. L’après-midi est lourd. Le ciel est ardoise, la végétation est luxuriante. L’hiver est loin déjà. Tout est oublié.

Tu sifflotes quand le chemin plat se transforme soudain en pente rude. Il fait chaud. Le cadre vert et touffu fait place à un mini-plateau calcaire, sec comme un causse. La vue se dégage, merci les arbustes rabougris. Tu te faufiles entre les piques des genévriers pour voir. Enfin tu l’embrasses des yeux. Le lac.

Il est en forme de logo Mercedes – une étoile à 3 branches. Créé par l’homme dans les années 1980 pour irriguer les champs de maïs avoisinants, c’est devenu un lieu de refuge pour les oiseaux. Tu ne l’avais jamais vu, n’en avais jamais entendu parler. Tu découvres un secret bien gardé. Le Sud Gironde t’en réserve-t-il d’autres ?

Tu retombes à flanc de colline, entre deux haies hautes. Le panorama a disparu. Sur la droite, un panneau t’invite à un observatoire d’oiseaux, caché dans les bois. Un guetteur est là. Il n’a pas vu grand chose, il t’explique. Un martin-pêcheur. Tenez, regardez. Tu ne vois rien.

Tu t’extirpes de là et croises un groupe de randonneurs. La population se densifie aux abords du lac. Près de l’eau, il fait plus frais. Des familles pêchent et cassent la croûte. Il y a beaucoup d’arbres – et d’ombre – à cet endroit du lac. Tu ferais bien des photos sur le ponton. Tu choisis de laisser tout le monde tranquille.

Le sentier te mène de l’autre côté du lac. Tu passes à découvert, t’arrêtes inspecter une fleur, observes un héron, avant de passer un cours d’eau et t’engager dans un sous-bois humide. Des plateformes d’observation te gratifient d’une vue.

De là, tu évalues la grandeur du lac, même si tu ne peux toujours pas le voir en entier. Sur 50-60 hectares, il recueille les eaux de ruissellements des collines, l’eau du Beuve (une rivière qui prend sa naissance à Bazas et se jette 30 kilomètres plus loin dans la Garonne), des ruisseaux de Sauviac et de Birac.

La dernière plateforme ressemble à un mini-fort en bois. C’est là que tu déposes les armes. Aucun sentier ne va plus loin. Impossible de faire le tour du lac. Tu imagines tous les coins, les recoins, les fleurs sauvages, les animaux, les oiseaux qui grouillent dans la partie inaccessible, cachée. La face cachée du lac.

Tu rebrousses chemin. Il est cinq heures. Une orage menace. S’il éclate, le lac se remplira à bloc. Il te reste une heure pour rentrer à Bazas. L’air est humide. Rien n’a bougé. Si : les oiseaux et les familles se sont envolés.

Note de balade : J’ai fait cette sortie l’an dernier. C’était en juin. Le retour du printemps m’a donné envie de la refaire, histoire de voir les fleurs. Je n’avais pris aucune note. C’est réparé. C’est fou, tous les détails étaient ancrés. Les couleurs denses de ce ciel de plomb et de cette nature dense ont figé les idées. Peut-être que tu y feras la même balade toi aussi ? (N’hésite pas à revenir me raconter ici !)