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Le pin aux portes de l’océan

Dans quel souvenir girondin ou landais n’y a-t-il pas leurs peaux de serpent et leurs houpettes ?

Le pin fixe les dunes et les images. Si je pense mer, je pense pin. C’est un cliché de vacances indestructible. Pour toi aussi ?

L’été, l’océan, les pins. Une odeur mêlée d’ambre solaire et de résine. Des tapis d’aiguilles qui piquent. Le chant des grillons, d’une ou deux cigales peut-être. L’ombre chaude de la forêt. Les week-ends, le plaisir, la liberté. Le tableau cocotier/sable fin version landaise et girondine.

Le pin, ce n’est rien d’autre qu’un palmier à aiguilles, non ? Longiligne, graphique, il s’intègre bien à un paysage de carte postale. Lit de sable, fond de ciel bleu, pin délicat. Ca colle. Comme la résine.

En Gironde et dans les Landes, le pin, c’est le gardien du littoral. Il faut traverser sa forêt avant d’atteindre la mer. Il nous entoure partout. Il la voit bien avant nous, de ses 20 à 40 mètres de haut.

C’est au plus fort de l’été qu’il donne tout : son odeur, son ombre, sa faveur, sa protection. Même déformé par le vent, même penché, il tend toujours plus haut, vers la lumière. Il amortit le vent, le bruit des vagues, le mouvement du sable.

Dans la forêt des landes de Gascogne, ils s’alignent en rangs bien serrés sur près d’un million d’hectares, des terres à la mer. Droits et denses comme l’armée d’argile de Qin Shi Huang. Sombres, intenses.

Leurs troncs ont cette drôle d’écorce écaillée, café-orange-noir-rougeâtre-violacée. Indéfinissable.

les pins s’écartaient, ouvraient leurs rangs, lui faisaient signe de prendre le large.”
François Mauriac, Thérèse Desqueyroux

Au printemps, la forêt fleurit. Le pollen se disperse. Sa poudre jaune se dépose partout. Les ajoncs et les genêts explosent de fleurs jaunes. Puis les clochettes violettes des bruyères prennent le relais, de l’été à l’automne.

Je plie le cou pour voir les cimes, puis les yeux pour voir le ciel. Les embruns et l’odeur des pins forment une fragrance unie. Aux beaux jours, on est bien sous les pins. On se balade, on pique-nique, on roule à vélo sur la piste qui longe le littoral.

On ramasse les pignes de pins, on fait des évantails avec les aiguilles, des bâteaux avec des bouts d’écorce, de l’encens avec la résine.


De son nom botanique « pinus pinaster », le pin des Landes, ou pin maritime, est originaire du Bassin méditerranéen. Il pousse aujourd’hui de l’Afrique du nord à la Bretagne, à la faveur des étés chauds et des hivers pluvieux. Avec des massifs forestiers plus denses en Nouvelle-Aquitaine, au Portugal et en Espagne.

Il croît vite, se replante facilement, draine beaucoup d’eau dans le sol. C’est une plante invasive. Son introduction en Afrique du Sud a complètement déséquilibré l’écosystème, pompant l’eau et portant un coup à la biodiversité. Chez nous, c’est une essence endémique.

L’arbre a été semé et planté plus largement par l’homme en Gironde et dans les Landes afin de fixer et d’assainir des sols sableux et marécageux où rien ne poussait et seuls des bergers survivaient. D’abord dans le pays de Buch, pour lutter contre l’ensablement (plus au Nord, à Soulac, l’église avait disparu sous le sable).

Sa silhouette frêle et son ombre furtive structure les paysages de Gironde, des Landes et du Lot-et-Garonne. Mais il est plus qu’une composante paysagère. C’est une composante historique, sociale et économique.

Le paysage s’est mué d’un désert de type saharien à la plus grande forêt plantée d’Europe occidentale, la forêt des Landes de Gascogne. Les pins ont fait basculer la société et l’économie locales à partir du 19ème siècle, en supplantant les troupeaux.

Les bergers se sont convertis en résiniers. Ils entaillaient les troncs des « arbres d’or » pour que la sève s’écoule. Elle était récoltée dans des pots de terre cuite accrochés aux arbres, puis utilisée pour la fabrication de bougies et de vernis, distillée pour obtenir de l’essence de térébenthine et de la colophane. La résine de pin était aussi utilisée pour soigner les furoncles et les maladies pulmonaires. On faisait boire aux enfants l’eau de pluie collectée dans les pots à résine.

Parenthèse poétique

En 1840, Théophile Gauthier, qui a voyagé à travers le Sud-Ouest jusqu’à l’Espagne, a écrit cette poésie sur les pins gemmés :

On ne voit en passant par les Landes désertes,
Vrai Sahara français, poudré de sable blanc,
Surgir de l’herbe sèche et des flaques d’eaux vertes
D’autre arbre que le pin avec sa plaie au flanc,

Car, pour lui dérober ses larmes de résine,
L’homme, avare bourreau de la création,
Qui ne vit qu’aux dépens de ceux qu’il assassine,
Dans son tronc douloureux ouvre un large sillon !

Sans regretter son sang qui coule goutte à goutte,
Le pin verse son baume et sa sève qui bout,
Et se tient toujours droit sur le bord de la route,
Comme un soldat blessé qui veut mourir debout.

Le poète est ainsi dans les Landes du monde ;
Lorsqu’il est sans blessure, il garde son trésor.
Il faut qu’il ait au cœur une entaille profonde
Pour épancher ses vers, divines larmes d’or !


Plusieurs décennies plus tard, Félix Arnaudin a photographié, croqué les bergers et les résiniers des Landes dans cette période de transition :

Félix Arnaudin – source : Musée d’Aquitaine

Certains pins ont été tellement gemmé qu’ils sont morts. D’autres ont cicatrisé et grossi qu’ils ont pris une forme de « bouteille« . Je n’en ai jamais vu des comme ça.

Le métier de gemmeur a disparu dans les années 1990. Le pin est toujours exploité pour le bois et le papier. Il pourvoit 12% de l’emploi industriel aquitain. Une entreprise de cosmétique a été récemment créée pour valoriser son huile, fabriquée à partir de ses aiguilles. Le gemmage a repris à toute petite échelle suite à des initiatives et expérimentations.

Le pin a de la ressource. Il peut vivre jusqu’à 500 ans. C’est un témoin séculaire. Ses branches chuchotent peut-être des histoires la nuit à qui sait les comprendre.

“Le pin le plus haut est celui que le vent agite le plus souvent.” Horace

Dernièrement, je me suis replongée dans les livres de François Mauriac. Les pins sont partout dans ses récits. Toujours au rendez-vous, au garde-à-vous. Des repères fidèles. Les semis ont pris en lui aussi. Dans les souvenirs de son enfance, dans son imaginaire, dans son ancrage à la Gironde.

Le pin est lié à sa vie. J’imagine que tout Girondin / Landais est un peu comme lui.

Autour d’un lac d’Hostens
Sous le soleil d’hiver
Près de Bordeaux, au bois du Burck
Près de l’étang de Cousseau
Tapis d’aiguilles et de pommes de pin
Un jour d’été au Grand Crohot

Je ne me lasse pas de me balader sous les pins. A tous les saisons, comme je le disais sur Instagram.

Pour moi, Noël a aussi une odeur de pin.

Petite, on n’avait pas de sapin dans le salon, mais un pin. Dégingandé, drôle, jamais droit. Les pompiers faisaient des coupes dans les sentiers de protection contre les incendies, et mettaient des petits pins à disposition contre deux ou trois pièces (je ne sais pas si ça se fait encore).

On se baladait à l’05/18/2018. Ma mère cueillait des champignons mi-noir mi-orange minuscules. Une fois poêlés, ils croustillaient et avaient le goût de la forêt. Un jour, j’ai lu dans Sud Ouest une histoire de personnes empoisonnées pour s’être trompée de spécimen au moment de la cueillette. Je n’en mange plus.

Les pins se ressemblent tous. C’est encore pire l’hiver. Les lettres blanches peintes sur leurs troncs permettent de se repérer. Je ne me suis pas encore perdue. Mais ça pourrait peut-être bien arriver un jour.

Magali

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Magali

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