C’était sur ma liste « balade près de Bordeaux à faire » : la réserve naturelle géologique de Saucats-La Brède. Oui, je fais des listes – plein (non, TROP). L’autre week-end, nous sommes allés à Saucats pour voir des dents de mégalodon, des feuilles vertes et de l’ail d’ours.
Arrivés sur place, mon sens de l’orientation est mis à l’épreuve. L’app Google Maps me lâche. Elle indique la maison de la réserve, située dans Saucats même. Comme des touristes, on n’a pas préparé notre visite. Le QG-musée est fermé. Les sites ne sont pas juxtaposés. Il faut se débrouiller pour les trouver et reprendre la voiture.
Je m’imagine dans un jeu d’aventure – j’espère juste pas croiser de dinosaures avec les narines qui fument. Je photographie la carte à l’entrée de la maison de la réserve avec mes yeux et je repète en boucle le trajet : D111, et après quelque part sur la droite*.
Je vois La Brède sur un panneau. La Brède = le château de Montesquieu. Mon attention est détournée par une envie littéraire, plus ma fibre que la géologie. Mais aujourd’hui c’est journée cailloux : le domaine de Trublion. On arrive à destination, grâce à la magie de mon cerveau qui me surprend toujours dans les moments où je le mobilise pour des tâches dont il n’a plus l’habitude. Lieu-dit : l’Ariey.
La balade commence par un crochet à l’ancien moulin de l’église. Il fait beau et froid. Nos doigts de pieds sont gelés. De l’ancien moulin restent quatre murs. En face, un affleurement se cache derrière des ronces. Qu’est-ce que ce site a d’original&nbps;? Je me pose la question, ignorante, incrédule. Petite, j’ai vu beaucoup trop de fossiles en Dordogne. Depuis, l’Ouest américain m’a mis mille choses géologiques dans la vue. Je suis devenue moins impressionnable.
Pour trouver la clef de l’histoire, il faut se plonger dans le passé, quand l’Aquitaine était marine. Saucats était sous l’eau, bordée de récifs coraliens, visitée par des poissons inimaginables et des requins surdimensionnés (les mégalodons mesuraient jusqu’à 15 mètres !). Il y a 20 millions d’années. Repère de temps : après les dinosaures et avant les mammouths.
La mer s’est retirée. Toute cette petite vie s’est stratifiée. Les sédiments se sont déposés, les coraux, les mollusques et les coquillages se sont fossilisés, les dents de mégalodon ont été piégées. Les falaises creusées par les cours d’eau dévoilent ces strates, témoins de ce monde marin, de ses occupants, des sens des courants, des régressions de la mer. La mer n’est plus revenue, depuis.
Au 19ème siècle, les géologues sont venus ici faire du terrain (jargon de scientifiques de la terre porteurs de grosses chaussures et de casquettes – sans doute plus des panamas à l’époque). Ils ont observé les strates témoins de ces dernières invasions marines, et leur ont donné leurs petits noms.
En 1858, le suisse Karl Mayer a défini l’Aquitanien – entre 20 et 23 millions d’année. En 1892, le français Charles Depéret a défini le Burdigalien* – entre 15 et 20 millions d’année (de *Burdigala = Bordeaux en latin). Ces noms locaux sont aujourd’hui utilisés par les géologues et paléontologues du monde entier. Je me demande comment un Ecossais dit Burdigalian.
Saucats est un lieu d’étude géologique historique. (Je ferai relire ma copie par mon prof de géol’ particulier pour voir si je n’ai pas fait de boulette.) C’est un musée à ciel ouvert. Seule une petite partie est à « portes fermées » : la maison de la réserve, qui abrite une dent énorme de mégalodon et de beaux fossiles.
Mon billet garde une part de mystère. J’ai perdu des photos, notamment tous mes zooms et autres angles multiples d’apprentie des strates. Je ne vous dévoile rien. Des sentiers avec panneaux pédagogiques permettent de visiter les sites librement. Des zones d’observation sont vitrées. Lors de notre passage, elles étaient embuées. On voyait mal, mais c’était intéressant.
La réserve a été créée en 1982 pour préserver le site de l’urbanisation galopante de la métropole bordelaise (et des pilleurs de fossiles). De la même manière ont été protégés, ailleurs en Gironde, les marais de Bruges, les prés salés d’Arès et de Liège, le banc d’Arguin, l’étang de Cousseau et les dunes et marais d’Hourtin.
Le ruisseau le Saucats coule à travers bois et champs, bordé d’aulnes, de frênes et de sureaux* qui lui auraient donné son nom (*sahuc en gascon). Des tapis d’ail d’ours recouvrent les bords du chemin. Un amateur est venu pour eux, déçu qu’ils ne soient pas encore en fleurs. « C’est bon pour la santé, ça se vend très cher sur Internet. Bon, on ne peut pas les cueillir ici, c’est une réserve. » Peut-être ont-ils fleuri, depuis.
Le bois est joli. Charmant avec ses arbustes penchés, ses entrelacements de lierre et ses tonnelles naturelles. On passe un mini-canyon de verdure, avec des fougères partout. Au moulin de Bernachon, un pont en bois passe au-dessus de la rivière, le long de la falaise. Musique d’Indiana Jones.
Un banc de sable affleure au-dessus de l’eau. La salamandre, le triton et une vingtaine de types de libellules ont été recensés dans ce territoire humide. Des mousses recouvrent la paroi humide (des bryophytes, on dit). L’eau calcaire y suinte en permanence et pétrifie les végétaux. Ce matin-là, des stalactites se sont formées. Seront-elles figées dans dix millions d’année ?
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