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Comment raconter ma ville ?

J’aimerai écrire plus sur Bordeaux. C’est ce que je me dis depuis un an. J’ai une liste de sujets. J’écris. Mais je bugue régulièrement. La machine s’enraye. Je me heurte aux mêmes interrogations : comment raconter ce lieu ? comment le dire ? comment le décrire ? comment être juste ?

Bordeaux : le soleil qui pointe derrière la flèche de Saint Michel

Décrire un lieu, c’est a priori simple. Une description peut être mécanique. Description = vision globale, détails, formes, couleurs, sons, odeurs. On ponctue d’histoires ou d’anecdotes. On lie tout ça d’un style factuel, humoristique, fleuri ou poétique – à sa convenance. Avec la bonne formule, on pourrait presque écrire en pilote automatique.

Sauf que…

Raconter un lieu, c’est plus que le décrire. C’est aller au-delà d’une simple impression. Plonger plus loin, plus profond, en apnée, suivre un fil et explorer plus profond. Faire appel à ses émotions, à ses souvenirs. Faire parler un écho, un mirage, un fantôme. Creuser la terre, trouver ce qui y est enfoui, voir par-delà l’envers du décor.

Comment faire pour que ce soit vrai ? Etre dans le récit, mais pas dans le fictif ? Faire appel à son imaginaire, sans fabriquer un monde qui n’existerait pas. Créer une évasion, mais forgée à partir du réel. Comment faire se croiser les regards de chacun pour recomposer le monde réel dans le virtuel ?

J’ai blogué sur la Californie avec fluidité. J’avais tout le temps des idées d’articles – certains que je n’ai pas eu le temps d’écrire avant la fin de ma vie là-bas. J’étais dans une démarche ludique, d’essais et d’erreurs avec le blog. Je m’amusais beaucoup.

Dans cette optique je n’ai peut-être pas écrit que des choses intéressantes – mais en tout cas, ça m’intéressait, moi. J’étais dans un état de découverte permanente. Je me disais toujours : si ça m’intéresse ou me fait sourire, peut-être que ça peut intéresser ou faire sourire quelqu’un d’autre, quelque part.

La lumière filtrée par les vitraux, à l’intérieur de l’église Saint Michel

Je n’aime pas partager mes états d’âmes. Je veux faire de ce blog un espace yin-yang. Positif, mais pas trop. Nuancé à tendance positive, disons. Une amie-maître-Yoda m’a dit un jour s’inquiéter dès qu’elle me voyait dans le surpositif. C’est un signe que je cache un truc qui cloche. Je repense à sa remarque dès que je veux me remettre dans le droit chemin, vers la quête de l’équilibre. On a tous besoin d’un courant El Niño en nous pour survivre.

Le blog est un recueil d’histoires personnelles. Mais il faut que ces histoires puissent apporter quelque chose à quelqu’un d’autre : un éclairage, une réflexion, une résonance, une expérience. Un petit plus, si petit soit-il. Quand j’ai des doutes ou des blocages, je laisse décanter. J’attends. Si je n’ai pas le recul suffisant, ça me paraît peut constructif de partager quelque chose.

Bloguer n’est pas juste “publier du contenu”. Dans cette répétition permanente des tâches (je prépare un post, je le publie, je prépare un post, je publie…), il y a un fil conducteur. Une démarche, une intention, une vision – les jours où on est un peu fou.

Petit à petit, le blog m’a poussé à plus d’introspection. Dans ma tête, je connecte des choses. Sur pourquoi je fais ça, pourquoi j’aime faire ça, ce que j’ai envie de raconter, comment j’ai envie de le raconter.

Les liens sont plus profonds que ceux que je tissais quand je me suis dit : “Tiens, et si je lançais un blog sur ma vie en Californie ? Je me prendrais pas la tête avec, il aurait un nom rigolo, il enverrait du soleil et de la bonne humeur à travers ses photos.” Il y avait un côté “terrain de jeux” que le blog a toujours eu pour moi. Ca me paraissait fun, facile.

Il est vrai qu’à ce moment-là, je visualisais littéralement ma vie en Californie comme un épisode de Melrose Place. Qu’en vrai, tout a été un peu plus compliqué. Et qu’après, tout est devenu beaucoup plus sérieux encore :

  • revenir en France
  • me réinstaller dans une ville nouvelle, mais pas nouvelle, avec laquelle j’ai déjà une histoire
  • faire de la Californie mon passé, et plus mon présent

Le temps que j’ai mis à accoucher d’un bilan sur les USA reflète bien la difficulté que j’ai eu à digérer et articuler les évènements pour en faire une narration constructive et intelligible. Du temps : un an. J’ai encore besoin de revenir sur ce récit, et j’ai décidé de le remettre par écrit.

Ma transmutation géographique m’a fait encore plus réfléchir aux liens aux lieux. Surtout parce que je me trouvais dans une incapacité accrue à les raconter.

Au début, j’ai mis une étiquette “lost in translation” au-dessus des émotions et des questions. Sans les ignorer, puisque je les mentionnais sur le blog. Je voyais ça comme un phénomène typique d’un retour de l’étranger. C’est le bordel, je suis en plein rangement, ça va prendre du temps, il faut revenir plus tard. Désolée les gars.

La prise de tête que ça a été d’amener par avion nos vélos de Santa Cruz, de les démonter petite pièce par petite pièce, d’emballer le tout, de les mettre dans un carton, de les amener à l’aéroport, puis de les remonter ensuite, petit bout par petit bout, parce qu’on voulait les garder en souvenir, a été simple à côté de la prise de tête que ça a été de sortir le blog de sa case “blog d’expat’”, de lui choisir un autre nom, de le migrer de plateforme, de négocier avec ma voix intérieure, de choisir les directions dans lesquelles aller, de réfléchir à ma ligne éditoriale, d’assumer que ce soit une tambouille.

Ayé. J’ai décollé l’étiquette “lost in translation”. Je gratte encore des résidus de colle et de papier galère à enlever. Il restera sans doute un résidu impossible à enlever. Celui qui s’incrustera, se grisera avec le temps, fera partie de ma der’ de couv’. Quand la téléportation existera, il rappellera le temps où les hommes peinaient à changer de lieu, comme les étiquettes sur les livres rappellent qu’avant on payait en francs.

Je ne savais plus si je pouvais encore parler de lieux, des Etats-Unis, de la Californie, de Bordeaux, du Sud-Ouest. J’ai mis terme à ces doutes. Je veux raconter les lieux.

Quartier Mériadeck : en direction de l’esplanade Charles de Gaulle

Mon blog est lié à un lieu, comme je le suis. C’est un e-objet, mais il a un ancrage physique. Son serveur d’hébergement ronronne quelque part en France. Le blog est la caisse de résonance ce que je vois, ce que j’observe, ce que je ressens. Il est indissociable de l’environnement dans lequel j’évolue.

Aujourd’hui, tout est plus clair : c’est difficile de raconter un lieu avec lequel on a une histoire.

J’ai énormément de mal à écrire sur un lieu que j’ai connu, avec lequel je fais de nouveau connaissance. J’ai l’impression que mon regard est biaisé par nature, parfois blasé. Il n’y a plus la fraîcheur, le candide. Plein de souvenirs s’interposent. C’est mieux dans un sens, plus riche, plus intéressant, mais rrra que c’est compliqué.

J’avance dans l’obscurité en ayant peur de perdre l’équilibre, de me prendre un mur ou de partir dans la mauvaise direction. J’avance tout doucement, alors que parfois j’aurai envie d’être ailleurs, quelque part, sûre de moi. J’y vais à pas de loup. J’essaye de plus réfléchir. Je me retrouve parfois à trop réfléchir.

Je suis au milieu de mon “tunnel éditorial” avec trois-quatre sujets bien entamés, mais rien à publier. Je suis prise en étau par l’urgence de publier, et la longueur que prennent les réflexions plus profondes. C’est arythmique. Je cherche la bonne mélodie, le bon accordage.

Mon lien avec le Sud-Ouest est plus alambiqué que celui que j’avais en newbie de la Californie. Je pouvais être dans l’enthousiasme de la découverte, rigoler d’un cliché, rester plus légère, superficielle, car finalement je l’étais. Aujourd’hui, je ne peux plus garder cette posture. Je n’écrirai sans doute plus pareil sur la Californie car des liens avec les lieux ont été noués. Je sais qu’il faut que j’approfondisse pour ne mentir ni aux autres, ni à moi-même.

Soleil d’hiver à Bordeaux

Raconter sa ville, c’est se raconter soi. Raconter les rues, c’est raconter les sillons en nous. C’est chercher dans le passé, dans son passé. C’est fouiller dans sa vie, revenir en arrière alors qu’on n’aurait envie de n’aller qu’en avant.

A ce travail archéologique, il faut rajouter l’exercice d’équilibriste du blogueur/conteur. Je n’ai envie d’écrire ni mes mémoires, ni un guide touristique. Je me demande souvent : est-ce que c’est trop personnel ou pas assez ? Parfois je me détache tellement que ça devient trop froid, désincarné. Parfois c’est l’inverse.

Je ne veux pas non plus former d’opinion, juger quelque chose. Ce n’est pas mon but. Je veux communiquer un regard sur les choses. Je cherche les nuances, la justesse. C’est une tâche délicate. Dans mon billet sur Sare au Pays Basque, j’ai par exemple omis de penser à la résonance du mot frontière chez les Basques.

Raconter un lieu, c’est aussi la raconter aux gens dont c’est le lieu. Les liens sont si profonds que le terrain est sensible. Il n’y a pas toujours de place pour les métaphores ou le second degré. Et c’est normal dans un sens : le sujet est sérieux. Former une communauté de perceptions, à travers une expérience personnelle, à partir de matériaux abstraits et subjectifs, ce n’est pas évident.

J’ai déjà parlé de liens aux lieux.

D’abord avec la Dordogne.

Parler de la Dordogne, c’était facile. Parler de Bordeaux, c’est plus dur. Pour mieux éluder le sujet, j’ai sorti ma carte “parlons de la météo” en bloguant sur les saisons. Les pirouettes, c’est chouette, mais risqué niveau entorse et entourloupe.

Alors j’ai remonté mes manches et essayé de raconter ce qu’était de vivre à Bordeaux. Sujet délicat, subjectif, personnel. Toutes les aiguilles indiquaient un niveau haute pression. Je m’en suis sortie, j’ai bravé les doutes, j’ai appuyé sur « publier ». Les doutes sont restés.

Le problème, c’est qu’il va falloir recommencer.

C’est ça, raconter quelque chose. C’est essayer, réessayer, réréréessayer. Ecrire, réécrire, relire, raturer, corriger. Dans l’espoir de toucher du doigt quelque chose d’impalpable.

Comment raconter sa ville ? Ce billet n’est pas une réponse. C’est une brique dans une quête plus large, plus longue. Je n’articule pas encore toutes mes idées. Dans quelques années, j’aurai plus de clairvoyance, je l’espère. En attendant, le processus est en route. J’essaye de raconter ma ville, Bordeaux.

Et ce n’est pas facile.

Magali

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