Mon ordinateur m’a lâchée. Plus de batterie, pas de prise. Je suis au chômage technique, bloquée dans mon salon à 6h30 du matin. Les oiseaux chantent, mon café est chaud. Ca ressemble encore à un réveil raté. Je me résouds à prendre le crayon, à défaut de clavier. Si je plonge dans le tonneau bien rempli de conseils d’écrivains, il y en a bien au moins un qui me dirait qu’écrire à la main, c’est mieux. Mieux pour elle ou pour lui, mais pour toi ou pour moi ? Je me demande.
Une machine à écrire fabriquée il y a 100 ans a atterri sur la table du salon. C’est un modèle étrange avec une tige de télégraphe. Avant qu’on la fasse marcher, il devrait se passer encore 100 ans. C’était long, avant l’ère numérique, d’écrire un manuscrit, puis de le taper. Long et laborieux. Mais au moins, il n’y avait pas cette touche DEL diabolique. Il fallait avancer. Quoiqu’il arrive.
Avec le numérique, tu as la rapidité, le copier-coller, la sauvegarde, la correction automatique, le partage universel au bout des doigts. La succession sans fin des CTRL-C, CTRL-V, DEL, clic gauche, clic droit t’illusionne d’efficacité. Tu avances sur ton texte, tu reviens dessus, tu avances, tu reviens dessus. Tout ça pour débloquer un badge sur Grammarly ou effacer cette vilaine vague rouge qui t’obsède.
Les faux départs cassent l’élan. Est-on vraiment plus efficace ?
Le livre A Year of Writing Dangerously est posé à côté de moi. Il a été écrit par la californienne Barbara Abercrombie. Je le lis à petites gouttes (ce qui est le principe du bouquin qui apporte un support d’encouragement pendant 365 jours). Elle cite l’exemple d’un auteur qui se lève super tôt, écrit dans le noir sans allumer son écran, va se recoucher et se relit après. J’adore cette astuce-anecdote.
Il faut trouver un moyen de déjouer la touche DEL. Est-ce que l’écrit sur papier est une réponse ? Les lignes nous conduisent. L’écrit se matérialise. L’effort se concrétise. La page se noircit. Oui, on peut la déchirer, la blanco-ter, la raturer. Mais ça demande plus de détermination qu’une pression d’une seconde sur une flèche arrière. Le résultat reste là. Palpable.
Sur un ordinateur, on est assis au-dessus du vide. Sur papier, on a les pieds dans le pétrin. L’aspiration du néant, la page blanche, la disparition des écrits, l’évaporation de l’inspiration, ce sont les pires ennemis quand on crée/écrit/blogue. La touche DEL (énorme et tentatrice) a été inventée par des informaticiens qui ignoraient tout du drame qui se ficherait dans le clavier, entre trois miettes de chips et des traces de chinois à emporter.
Quand j’écris sur ordinateur, très souvent, les idées me viennent par bribes, par flash. Comme si l’écran branchait mon cerveau en mode zapping. Je note vite. C’est parcellaire, confus. Puis je passe énormément de temps à coudre et recoudre mon patchwork. L’écriture, c’est pas vraiment ça, si ?
J’écris différemment sur papier. C’est bizarre. J’ai dû garder dans ma mémoire musculaire les dix milliards d’heures scolaires (ne compte pas, ce serait terrifiant) passées à couvrir d’une ligne à l’autre des doubles-pages quadrillées à marge rose-rouge (on ne sait pas trop).
Je ne suis pas née avec un ordinateur, j’ai dû le conquérir avec des disquettes, un écran cathodique, sur une moquette rose. Je ne saurais plus m’en servir aujourd’hui. Il fallait taper un code pour lancer son programme, je crois. Je devrais revoir Halt and Catch Fire* pour savoir.
L’écriture sur papier m’est devenue aussi étrangère qu’un ordinateur 90’s. Je ne sais plus comment j’écris. Je ne sais plus choisir le bon crayon. Je ne sais plus qu’écrire avec un crayon trop gras sur un papier trop fin, c’est pas une bonne idée : on ne voit plus ce qu’on a écrit sur le recto, une fois qu’on écrit sur le verso. Diabolique, la touche DEL ? Peut-être pas tant que ça.
Ecrire, c’est ça. Se mettre dans une position inconfortable. Que ce soit avec un crayon, un clavier, une souris. Tout effort de rendre le truc confortable est-il vain ? On mime le confort. Une tasse chaude, un bureau rangé, une bougie réconfortante, de l’encens zénifiant, une musique inspirante. Mais se manifeste-t-il vraiment ? Doit-il se manifester ? C’est quoi ta routine, toi ? Elle marche ?
En Master 1, j’ai rédigé un mémoire sur l’écrit-écran et l’écrit-papier. Je me note de le relire. Mon moi d’il y a 13 ans apprendrait des tas de choses à mon moi d’aujourd’hui. C’est fou, ce genre de sujet est devenu intemporel.
Après cette expérience un matin à 6h30, j’ai décidé de me remettre à écrire sur papier. Peut-être pas tout, tout le temps, mais plus. Je le faisais déjà dans un carnet, très ponctuellement. Ecrire sur papier pour ensuite publier sur écran, c’est paradoxal, non ?
J'en avais marre d'être sous pression, comme une cocotte-minute prête à exploser. D'avoir des pensées…
Texte publié dans un recueil, aux Editions Gallimard, en 1993. En bibliothèque. Ou ici sur…
La vie des artistes et des créatifs titille ta curiosité, et tu veux mieux vivre…
Ils s'appelaient Hector, Ernest, Sidonie. On les regardait nager dans des eaux semi-troubles à bulles.…
“Je ne peux pas m’en empêcher.” Je croque des cookies et j’aspire du Cherry Coke…
Ca a trotté dans ma tête. Je me suis tâtée, puis j'ai sauté dans le…