Le pare-brise est sale. Pas terrible pour faire des photos. Le paysage défile par touches impressionnistes. Les couleurs du printemps bavent avec la vitesse. Les pylônes et les fils haute-tension dressent des lignes dans le paysage. Ces paysages, je les vois sans les voir. Ca va trop vite.
A mon retour de Californie, ça m’avait fait bizarre de retrouver les routes françaises. Un réseau entretenu, sans cabosse, dont la qualité donne un sentiment de sécurité. L’asphalte lisse, les bandes blanches régulières. Cette uniformité confortable.
Les aires d’autoroute où on se croise sans se voir, les champs réguliers, la radio traffic, les radars-tronçons, les radars mobiles, les radars tout court, les gendarmes embuscadés, les gens qui roulent trop vite ou pas assez, les camions espagnols, les fourgonnettes blanches, les camping cars, les vans repeints, les vacanciers, les routiers, les chantiers, ceux qui tombent en panne.
Ce petit monde très organisé et très fou de la haute vitesse.
130 à l’heure, 150 pour certains, 120 pour d’autres, 110 par temps de pluie. Les vagues, les accordéons, les ralentissements, et la distance de sécurité, bordel ! La frénésie de la vitesse, la peur de finir comme une cannette compressée. Bison futé, l’élan de liberté des vacances, les départs orange, pire rouges, les secondes, minutes, heures coincées dans le trafic à respirer des particules fines. Les bouchons et leur paroxysme de l’horreur : les bouchons pour rentrer sur Paris le dimanche.
Les haltes, le péage. Les questions techniques : tu as vérifié la pression des pneus ? Les arrêts pipi, les pauses-déjeuners, les chats abandonnés qui frissonnent de froid. Les paris sur les files au péage. Les fun facts de copains : tu as remarqué que le décompte des bandes rugueuses est toujours le même, partout, et qu’il est faussé ? 1, 2, 3 puis 5. Toujours, et jamais de 4, pourquoi ?
On se repasserait tout le voyage au ralenti, ça donnerait une drôle de course Mario Kart – les peaux de bananes en moins.
J’ai assisté à la naissance d’une autoroute : l’A89. Le paysage modifié. Les collines tranchées en deux. La maison neuve rasée. La famille d’agriculteurs pénard depuis des générations dans sa ferme qui se retrouve à 200 mètres de la bande passante.
L’axe coupe les paysages, contourne les endroits sensibles, relie des lieux stratégiques. Déplace des gens.
Son fond sonore perturbe un équilibre. Là où il n’y avait que le chant des oiseaux, le frémissement du vent, le bourdonnement des insectes. Dans un coin paisible, c’est bouleversant de voir toutes ces modifications. Et puis, on s’y habitue.
Les autoroutes auront bientôt 100 ans. La première autoroute au monde est née en Italie, en 1924. Elle reliait Milan et Varèse. En Europe, l’Allemagne et la France ont aujourd’hui les réseaux les plus développés ; à eux deux, ils représentent environ deux tiers du réseau autoroutier européen.
La France est dans le top 5 des pays dans le monde à avoir le grand réseau autoroutier avec la Chine, les Etats-Unis, l’Allemagne et l’Inde. Niveau chiffres, c’est colossal :
Les autoroutes ont modifié notre façon de voyager. C’est devenu insensé et exotique de prendre son temps, d’emprunter la nationale, de s’arrêter chez La Belle Cantinière de la N10. Ont-elles aussi modifié notre façon de regarder les paysages ?
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