Les années 90. Nous sommes en CE1. On collectionne les Paninis et on fait rouler des billes à la cour de récré. C’est la rentrée. Ma mère a préparé mon cartable. Elle a repris mon carnet du CP et l’a glissé dedans : « il est à peine entamé ». C’est un carnet rouge à spirales. Des feuilles sont collées à l’intérieur. On dirait un sandwich XXL avec trop de laitue qui dépasse.
La maîtresse m’appelle. Chaque enfant doit à tour de rôle se rendre à son bureau avec son carnet, pour qu’elle liste les devoirs. Je me lève et m’engage dans l’allée de petits bureaux. Je suis mal à l’aise. Il y a un truc qui cloche avec ce carnet. Je le cache sous mon bras. Mais la laitue frise sur les bords.
« Qu’est-ce que c’est que ça ? » Ma crainte se confirme. Elle m’épingle, m’affiche en grand format devant toute la classe. D’une voix rocailleuse. Je n’aurai pas dû rapporter mon carnet du CP. Je suis en CE1 maintenant. Je deviens aussi rouge que le carnet.
Ma mère, chef en optimisation des coûts, qui a fait toute son école avec le même trousseau de vêtements acheté par son grand-père, tout aussi investie que Brigitte Bardot pour la sauvegarde des phoques sur la banquise, ignore la règle n°1 de la société de consommation des années 90 : chaque année, il faut commencer avec du nouveau. Du neuf. La rentrée se prépare à Carrefour, aux rayons papeterie, sous l’égide envoûtante d’un animateur épellant les promos au micro. C’est comme ça.
Je repars avec une petite note inscrite à l’encre rouge dans mon carnet tout aussi rouge. J’ai honte.
C’est un des premiers souvenirs de honte que j’ai de mon enfance. Avec mon regard d’adulte, la maîtresse est pas une maline. Dans un scénario proche de Kill Bill, je me vengerais. C’est mal de foutre la honte à un enfant, encore plus devant toute la classe à la rentrée. D’ailleurs c’est bizarre : elle a disparu pour le reste de l’année.
J’ai déterré cette histoire enfouie en moi lors d’une de mes sessions d’écriture quotidienne. C’est comme si soudain, tout s’était éclairé. Pendant très longtemps j’ai eu une tendance maladive à :
Est-ce que ça vient de là ? Ou a-t-on tou(te)s cette tendance ?
Il y a tout juste quelques années, j’ai brisé la chaîne de cette malédiction. Un carnet doit vivre. Ses pages doivent gonfler, gondoler, être griffonnées. Il doit s’essouffler, vivre jusqu’au bout, coûte que coûte.
Ca a un côté thérapeutique d’écrire. Mais on pourrait presque faire toute une thérapie autour de notre lien à l’écriture – des carnets, des crayons, du papier. La façon dont on écrit, dont on tient un cahier, dont on rature dit beaucoup de choses sur nous, il paraît. Scribouille, je te dirai qui tu es. 🔮✨
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