Câest marrant que Bordeaux ait un nom de couleur, je me suis dit lâautre jour. Avant de revenir Ă lâĂ©vidence : Bordeaux a donnĂ© son nom Ă la couleur. Câest la couleur qui a son nom, pas lâinverse. Mais quand je pense Ă Bordeaux, je pense par extension Ă la couleur bordeaux. Les deux â ville et couleur â se sont-elles liĂ©es dans lâimaginaire collectif ?
Câest un rouge grenat, trĂšs foncĂ©, presque marron violacĂ©. Si elle tire trop vers le marron ou le violet, câest un marron ou violet, ce nâest plus un bordeaux. Câest une couleur capricieuse, Ă la nuance dĂ©licate, aux exigences spĂ©cifiques. La perception et la dĂ©finition dâune couleur sont subjectives. Peut-ĂȘtre que ce vous trouverez bordeaux ne sera pas bordeaux pour moi, et vice versa. Les couleurs Pantone « bordeaux » ne sont pas bordeaux, pour moi. Elles sont mauve foncĂ© â lie de vin, je dirai.
Câest une couleur que je trouve belle, originale, mais pas commune, ni super seyante. Elle fait trĂšs « cĂ©rĂ©monie officielle », trop austĂšre, pas joyeuse. Si je cherche des choses bordeaux autour de moi, je ne trouve pas grand chose. Un vieux pantalon que je ne mets plus, un vernis Ă ongles (qui sâappelle Los Angeles â marrant). Câest une couleur que je croise plus frĂ©quemment sur de vieux volets.
Dâailleurs, dans le Bordelais, en clin dâoeil au vin, on trouve des volets de chais bordeaux. Lâentreprise de canelĂ©s Baillardran a une enseigne bordeaux, ce nâest sans doute pas un hasard.
Le bordeaux tire son nom de la couleur du vin rouge. Ce serait des teinturiers anglais, au 19Úme siÚcle, qui auraient donné cette appellation en cherchant des noms exotiques pour décrire les couleurs (cf. Wikipedia). Les Anglophones disent « burgundy » ; les Québecois, « bourgogne ». Autre couleur vinicole : le « lie de vin », plus violet.
Le Bordeaux est devenu une couleur. Mais on ne dira pas quâun Bordeaux est bordeaux.
1. Ce serait un pléonasme dur à assumer.
2. Ca pourrait ĂȘtre faux. Le Bordeaux nâest pas forcĂ©ment bordeaux. Les vins peuvent avoir des robes trĂšs diffĂ©rentes.
3. Pour dĂ©crire la robe dâun vin, on ne peut pas aller vers la facilitĂ©. Trouver les mots justes pour dĂ©peindre sa nuance doit ĂȘtre un exercice difficile de vocabulaire â Ă apprĂ©cier autant que le vin. Il faut ĂȘtre snob et inventif : rubis dense, pourpre profond, prune irradianteâŠ
Le rouge, câest la couleur de lâamour, de la passion, mais aussi du pouvoir, du danger, du sang. Le bordeaux est intense, profond, obscur. Bordeaux hĂ©rite-t-elle par ricochet dâun symbolisme nĂ©gatif ? Je me demande.
Les couleurs sont porteuses de signification. On y associe des symboles, des images, des expressions. Voir rouge. Vert de rage. Rire jaune. Etre fleur bleue. Couleurs et Ă©motions sont liĂ©es. On dit mĂȘme quâelles ont des vertus, quâelles pourraient nous influencer.
Bordeaux est souvent reliĂ©e Ă un monde bourgeois, froid, secret. Quand je demande pourquoi, la rĂ©ponse varie, comme tout ce qui est subjectif, ça reste impalpable, une impression difficile Ă justifier : les gens ne sourient pas, les façades sont bourgeoises, il pleut. On mâa aussi dit totalement lâinverse : les gens sourient, les maisons sont simples, le climat est cool.
Moi je me demande si sa couleur nâaurait pas dĂ©teinte sur elle. Et que donc tout ça ne serait pas une question de lunettes teintĂ©es.
Photo de fond : Darwin / Police et aquarelle : Atmosphere
Les association dâidĂ©es nous font crĂ©er des images composites. Comme des photos en multiples expositions. Les images se superposent, sâassocient, ne font plus quâune. Bordeaux est une Ă©choppe, une place de murs blonds calcaire, un verre de vin Ă la robe pourpre, au nez de groseille, cerise noire et charbon ardent, un fleuve grognon et sauvage.
Bordeaux est une couleur. En plus dâĂȘtre une ville, un vin. Les sens sâinterpĂ©nĂštrent. Nos sens sâemmĂȘlent. Câest comme si on Ă©tait tous un peu atteints de synesthĂ©sie â ce phĂ©nomĂšne qui fait que certains visualisent une couleur quand ils lisent une lettre (un I jaune ou un O rouge) ou entendent un son (un do orange ou un sol violet). Bordeaux est bordeaux .
Mais pour moi, Bordeaux est aussi bleue. Comme son ciel (que lâon voit beaucoup car les Ă©difices sont bas). Jaune lâĂ©tĂ©. Grise lâhiver. Verte, comme les coteaux de la rive droite, comme la Garonne en aoĂ»t. KalĂ©idoscopique, en fait.
J'en avais marre d'ĂȘtre sous pression, comme une cocotte-minute prĂȘte Ă exploser. D'avoir des pensĂ©esâŠ
Texte publiĂ© dans un recueil, aux Editions Gallimard, en 1993. En bibliothĂšque. Ou ici surâŠ
La vie des artistes et des crĂ©atifs titille ta curiositĂ©, et tu veux mieux vivreâŠ
Ils s'appelaient Hector, Ernest, Sidonie. On les regardait nager dans des eaux semi-troubles Ă bulles.âŠ
âJe ne peux pas mâen empĂȘcher.â Je croque des cookies et jâaspire du Cherry CokeâŠ
Ca a trottĂ© dans ma tĂȘte. Je me suis tĂątĂ©e, puis j'ai sautĂ© dans leâŠ