Mériadeck à Bordeaux : l’écho des dalles, les lignes des buildings
Mériadeck est comme un jogging des années 80. Il est moche, mais son look rétro le rend intrigant. Ce quartier de Bordeaux a été moderne, flamboyant. Il a vieilli, il est fatigué. La réaction est instantanée. On aime ou on aime pas. Vous aimez, vous ?
Au début des années 70, tout un quartier populaire de Bordeaux a été rasé, puis reconstruit de zéro. Ca a donné ce drôle de quartier qui longe le centre ville. Un non-lieu avec sa poésie particulière, où déambuler, faire du skate, prendre des photos minimalistes.
Mériadeck pourrait faire rêver. A sa conception, l’ambition était de créer une ville perchée, détachée de la circulation des voitures. Cette vision est typique des années 60-70 : on cherchait à réinventer le monde pour qu’il colle à certaine idée de la modernité*. La mayonnaise n’a pas pris. Les terrasses sont restées désertes. Les usages n’ont pas collé à la vision.
Mériadeck, c’est une plateforme géante pour les piétons. Un système circulant moulé en ciment à base de gravier pas très chaleureux. Des immeubles en forme de croix. On y accède par un escalier, et on ne peut ressortir de ce labyrinthe avant de retrouver la bonne sortie.
Si l’on cherchait des quartiers jumeaux dans d’autres villes, on irait dans le 13ème à Paris ou à Japan Town à San Francisco. Des lieux où se trouve enfoui au milieu des buildings et sous des tonnes de ciment un centre commercial animé dont tu ignorais l’existence jusqu’à ce que l’on t’y conduise pour une raison mystérieuse. #jadoremescopines
Entre midi et 2 en semaine, les dalles ont un gros pic de fréquentation. Le reste du temps, il est plus rare d’y rencontrer quelqu’un. Le quartier serait idéal pour un décor de film de science-fiction à l’ambiance post-apocalyptique. Dès que l’on sort du centre commercial, il n’y a plus de vie. Les gens se sont volatilisés. Où sont-ils ? Faut-il que je fuie, moi aussi ? C’est la fin du monde.
Par chance je croise quelqu’un. Une ombre fuyante, une personne de passage, très pressée. Tic tac… le parking gratuit au centre commercial ne dure qu’1h30. On n’emprunte les terrasses de Mériadeck que dans un but très précis et très rationnel : aller à la bibliothèque, acheter des chaussettes à Auchan, faire faire sa carte grise à la préfecture. On repart illico. Avec pour seul écho, celui des dalles qui bougent.
Quand on lève les yeux ou que l’on penche la tête, Mériadeck est intéressant à observer. Des angles étranges. Des lignes découpées dans le ciel. Des passages d’une terrasse à une autre. Un dédale de dalles. C’est une curiosité architecturale et historique. Le quartier fait partie de la zone de Bordeaux classée par l’Unesco.
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Il y a tout à Mériadeck. Les administrations : la Cité Municipale, Bordeaux Métropole, la préfecture, le Conseil général, le Conseil régional, les Finances Publiques, Pôle Emploi. La Poste, Auchan et son centre commercial, la patinoire (aussi un lieu de concerts), la bibliothèque, un bowling et Starbucks. On pourrait y vivre sans jamais en sortir.
D’ailleurs, des gens y vivent. Heureusement ils peuvent en sortir. Merci le tram A. Mériadeck compte 800 logements. On l’oublie souvent : en plus d’être un quartier administratif et commercial, c’est un quartier résidentiel. Certains appartements doivent avoir une vue très chouette sur Bordeaux.
Comment était vraiment l’ancien quartier avant toute cette « modernité » ? Tout un blog sur Mériadeck (super documenté) nous raconte son histoire. Sud Ouest nous montre en photo sa transformation. Dans son livre sur l’ancien quartier Mériadeck à Bordeaux, Jean-François Fournier décrit quant à lui l’ancien quartier et ses habitations insalubres de manière sordide.
Un mythe entourerait le passé de Mériadeck. L’ancien quartier a été décrit par certains comme un village populaire, peuplé de personnages hauts en couleurs, brocanteurs, chiffonniers, fripiers et prostituées, connu pour son marché aux puces – une Caverne d’Ali Baba à ciel ouvert où l’on trouvait des trésors. Sur les dalles d’aujourd’hui, l’imagination court.
J’y habite. C’est un quartier très agréable. Je vis en haut d’une tour avec une superbe vue. Mes voisins sont sympas, on s’en connait tous. Si vous en avez envie je peux vous faire visiter mon appartement. Vous pourrez constater de vous même combien ce quartier est sympa, et certainement plus vivant que vous n’es le pensez. Amicalement
Bonjour Catherine ! Merci pour votre message. J’aime beaucoup ce quartier atypique, et c’est intéressant à savoir !
Je pense que ce projet architectural s’inscrit dans une double perspective :
– générale ou planétaire : le béton-roi, on pose sa voiture au parking (car flâner à pied de rue en rue en 1970 c’est ringard, et puis on bosse, c’est le plein-emploi) et on devient un piéton dans un monde parallèle, entre ciel et béton. Pas dans la vraie vie des vrais gens qui, de toute façon, prennent leur voiture (sinon ce ne sont pas des vrais gens, mais des marginaux) ; transparaît ici bien sûr le positivisme aggravé par le scientisme et le totalitarisme industriel fruit des guerres mondiales, la « rationalisation » de l’espace de vie qui fut aussi celle du massacre, le cube, le béton, la voiture puisqu’on a du pétrole ;
– locale : la volonté pour Chaban-Delmas, maire parachuté, parisianiste outrancier ne cherchant d’ailleurs nullement à s’en cacher, de dépopulariser, de déméridionaliser, désoccitaniser même un Bordeaux qui a encore l’accent et le lexique des « recardeyres » des Capu. Il faut faire de Bordeaux le laboratoire d’une technocratie qui passe inévitablement par le signe extérieure de « modernité ». Bordeaux a failli ne jamais s’en remettre, car Bordeaux ce n’est pas ça.
Moderniser en 1970, c’est gentryfier et cacher, en offrant ce qu’on pense être le moderne mais qui n’est en réalité que l’illusion du contemporain, c’est à dire l’immédiat, le passable, le vieillissable ; on raisonnait alors en mode rationnel/nostalgique (le nostalgique étant la sensiblerie des ringards), maintenant ce serait plutôt durable/jetable, responsable/consumériste.
L’ancien Mériadeck, tous les échos que j’en ai eus (je suis né en 1980) était sale et mal famé mais chaleureux et fraternel, un peu comme le Belleville de Pennac, le Greenwich Village de Kerouac ou le Vieux-Port de Pagnol. L’occitan « pichadey » y résonnait encore dans les locutions. On y trouvait le club de judo de la Police et quelques hôtels meublés.
De nos jours, ils serait réabilité dans son jus. On ne toucherait pas aux immeubles brinquebalants ni aux pavés disjoints, au contraire, on cristalliserait. On y trouverait, un peu comme dans les environs de la place Dormoy et du Conservatoire, des bar associatifs sous les platanes, des fêtes de quartier où on fait son taï-chi sur des parfums de boulghour et de céviche. Il serait gentiment bobo-estudiantin, mais on pourrait encore y dénicher des « spots » ou des plans colloc sympas pour pas si cher que ça.
Dans le réel, Mériadeck est devenu une allégorie de la confusion entre modernité et contemporain, c’est à dire entre permanent/rémanent et instantané, qui est par définition frappé d’obsolescence dès sa création. C’est du vieux moderne, ce n’est pas du post-moderne, donc pas du moderne du tout. C’est du « qui a été ». Il en faut, c’est bien. Je plussoie l’ambiance post-apocalyptique, c’est entièrement ça ! On y sent un vieux Blade-Runner qui aurait un peu l’accent de Bègles, un soir de pluie, entre les enseignes de la galerie marchande aux couleurs sursaturées et l’odeur chaude des brioches de chez Paul. Un café avec Haruki Murakami dans un Ginza dont on aurait réduit les panneaux lumineux. Ambiance feutrée de roman gris.
Mériadeck finalement entre en modernité, en post-modernité donc en modernité, comme Voltaire au Panthéon, après sa mort à lui-même, celle de l’arrogance technostructuraliste des Trente Glorieuses. Gloire à lui pour cela.
Oui, c’est une vision intéressante et juste, je trouve ! Merci de ton analyse !
Je suis tombé par hasard sur votre article sur Mériadeck !
Je suis passé par Bordeaux cet été et j’ai découvert aussi ce quartier complétement désert !