L’accent du Sud-Ouest
J’aime l’entendre. Une rivière qui coule, un bruissement, un son chantant, rassurant : l’accent du Sud-Ouest. Depuis que je suis revenue ici (après dix ans ailleurs), j’ai retrouvé ses sonorités familières. La douceur, la sensation de confort qu’elles génèrent en moi m’a même étonnée, et interrogée : comment je parle, moi, déjà ?
La semaine dernière, j’ai reçu un message ponctué d’une injure locale qui s’en prenait (en partie) à mon « accent pointu » que vous pouvez entendre dans mon 🎥 vlog sur la dune du Pilat. En substance : tu n’as pas l’accent, tu n’es pas de chez nous. Ca m’a fait repenser à toutes ces anecdotes liées à mon accent-non-accent.
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Je suis attablée à la table en formica d’un diner américain. Le serveur, un homme, d’une vingtaine d’année, me demande ce que je veux boire avec mon burger. Je commande du Coca avec un o du Sud-Ouest. Le stylo levé, il marque un temps d’arrêt quasi insoupçonnable, très professionnel, et va me chercher ma boisson à bulles. J’ai compris… après. Au lieu de dire « coke », j’ai dit « cock ». En anglais, ça ne veut pas du tout dire la même chose.
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J’ai neuf ans. Je joue à la crapette sous les pins. Ce n’est pas gavé bien, c’est gavasse bien. On jure « anki » car c’est joli. On ne sait pas ce que ça veut dire. A Noël, je remonte la carte de la France, plus au Nord. J’ai mis ma jupe à fleurs, mes chaussures vernies (je suis convaincue que la fille du président de la République doit avoir les mêmes, et que je suis conforme à l’idée de petite fille modèle que la Comtesse de Ségur a modelé dans ma tête). J’ai pourtant droit à une leçon de redressement : « en français, on ne dit pas « röööse », on dit « rôôôse ». »
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J’ai passé deux semaines en Dordogne. Je rentre à Paris. Au bureau, le lundi, on me dit : « tu es revenue avec l’accent, c’est rigolo. »
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Mon parler est relatif à la personne qui m’écoute. Il me rend service ou me fait défaut. A Paris, j’ai l’accent du Sud-Ouest. Dans le Sud-Ouest, j’ai l’accent de Paris. Un Landais qui m’écoute en anglais percutera quand je commanderai du soda. Un Américain, non.
Pour certains, l’accent est une fierté, une revendication. Tu as l’accent, tu as le label rouge. L’accent est ancrage, authenticité. Pour d’autres, c’est un truc mignon, une touche d’exotisme. Pour ma part, je trouve dommage qu’il puisse être vecteur d’a priori. Ne jugeons personne.
L’accent du Sud-Ouest, ce n’est pas un accent, c’est des accents, avec leurs modulations différentes en fonction des lieux, milieux sociaux, générations. Tous les gens du Sud-Ouest n’ont pas le même marcage d’accent. Il peut être fort, modéré, subtil, inexistant – comme le goût d’un café. Ce n’est pas un indicateur fiable des origines. Il se développe différemment, selon que l’on est en milieu ouvert ou fermé. Il évolue : il se prend, se perd, s’accentue, se floute, s’imite.
Je comprends qu’on puisse être attaché aux accents. J’entends parfois dans un coin de ma tête celui de ma grand-mère. Ses envolées, ses tirées vers l’aigu, ses passages en montagne russe. Je ne pourrai jamais l’imiter et quasiment plus personne ne parle comme ça. Les dialectes, patois, accents s’effacent, changent, résistent. Ils sont liés aux lieux, les colorent, les expriment, leur créent une mélodie. Mais n’oublions pas de laisser les gens tranquilles ♡
Dans le Sud-Ouest, je n’ai encore jamais entendu une personne de moins de soixante-dix ans rouler encore les r. Pour autant, personne ne se font pas insulter par ses aïeux. Enfin, j’espère.
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🔗 A lire :
Quel bel article, encore !
J’adore les accents, les patois, les langues régionales… je trouve que c’est tellement intéressant ! Sur Twitter, il y a @MathieuAvanzi qui fait de super travaux dessus… 🙂
Han merci Isa de ton mot 💛 J’ai longtemps pensé à aller sillonner les campagnes pour enregistrer l’accent des personnes âgées… je ne connaissais pas Mathieu Avanzi, merci de cette découverte !