Bordeaux Caniculaire

Bientôt il fera trop chaud et mes neurones ne pourront plus fonctionner. Il est 10 heures du matin et si je devais sortir, là, maintenant, il me faudrait déjà raser les murs.

Les oiseaux sont moins loquaces, le ciel s’est alourdi, les bruits de la ville se sont évanouis. Seul un chien aboie, pas encore abasourdi. Je me prépare à une journée caniculaire. Et aussi dure cette chaleur moite et écrasante s’annonce-t-elle, j’y trouve quelque chose de délicieux, de spécial et de familier.

Bordeaux a toujours été caniculaire l’été. Caniculaire et orageuse. Il y a tout un savoir-faire de la conservation de la fraîcheur chez soi. Portes fermées, volets fermés, rideaux tirés devant les portes, derrière les fenêtres. On cloisonne tout. Le silence se déploie sur la ville. Les maisons se recroquevillent.

Avec Noël, c’est un des moments où les gens sont le plus repliés chez eux. On se replie, les murs se dilatent. On est tout petit dans le secret de la pénombre, à l’abri de tout regard. Calfeutré. C’est un moment pour les pensées intérieures, les pensées errantes, erratiques. Les échoppes chuchotent. Les lézards s’immobilisent. Nos méninges chauffent, les connexions se font plus très bien et on se met à divaguer.

C’est par un jour de canicule que j’ai filmé le premier épisode de ma chaîne YouTube — comme je disais, on se met à divaguer. Aujourd’hui, je m’octroie un kif créatif spécial canicule : une parenthèse dédiée à mes projets créatifs, que je documente en vidéo (on va essayer de rester cohérent). L’écriture de ce billet est mon premier kif de la journée 😊

Boire, boire, surtout il faut boire. Et éventuellement passer une serpillière d’eau froide sur le sol si on est pas scotché à son siège.

Mes voisins arrosent leur jardin. Je me crispe au bruit de l’eau qu’on asperge. Ca me fait la même chose avec les bouteilles de Badoit qui explosent, et ça me faisait ça aussi en Californie quand je regardais l’eau couler sur les gazons éclatants en pleine sècheresse.

Après la chaleur collante et assommante, le deuxième fléau de la canicule, c’est le moustique. Le moustique tigre, qui est maintenant super présent en Gironde, est actif le jour. Avant, on se faisait juste dévorer quand on traînait trop longtemps dehors lors d’une soirée d’été. Maintenant c’est toute la journée.

Bordeaux et ses environs ont toujours été un marais, le milieu est propice aux moustiques. Certaines personnes sont en colère (la chaleur énerve). Au nord de la métropole, la commune d’Ambès — zone Natura 2000 — a demandé un épandage aérien d’un “insecticide biologique”. Insecticide biologique, c’est pas un antagonisme ? La demande a été mise au point d’arrêt par la préfecture.

J’en doutais jusque là, le moustique a un rôle dans nos écosystèmes. En ville, c’est en grande partie l’activité de l’homme qui favorise sa pondaison : eaux stagnantes dans les jardins, les gouttières, piscines… Il faut agir à la source, supprimer toute once d’eau. Ces petites actions-là de prévention peuvent aider.

Dans la régulation des moustiques, le lézard et la chauve-souris sont nos alliés, car ils s’en nourrissent (tout comme les hirondelles, les martinets et les batraciens). Quand on a un jardin, l’installation d’abris peut aider la chauve-souris à se loger. J’en voyais une rôder au début où nous étions arrivés à Bordeaux… Je ne l’ai pas vue l’an dernier, ni cette année.

A Santa Cruz, on avait des toiles anti-moustique à toutes les fenêtres. C’était top pour vivre ouvert sur l’extérieur. J’ai imaginé me faire une tente de jardin en toile géante, entourée de plantes qui repoussent les moustiques : menthe, mélisse, citronnelle, basilic, lavande… Version mille et une nuits, pour siroter en toute quiétée un savoureux nectar et redonner un peu de douceur à nos soirées d’été. Ce serait pas mal, non ?

J’ai appris en cours de latin* que canicule vient de canicula — ”petite chienne”. Dans l’Antiquité, on appelait Canicula l’étoile Sirius, de la constellation du Grand Chien. L’été, l’étoile apparaissait dans le ciel en même temps que le soleil. Comme elle brille très fort, ça faisait double feux.

Je la regarderais peut-être briller ce soir. La canicule, c’est ça, aussi : vivre la nuit.