Ecrire tous les jours
(la mĂ©thode-marathon) đ
Peut-on ancrer son stylo (ou son clavier) dans ses habitudes de vie ? J'étais motivée par cette envie, mais dubitative de ma capacité à relever le défi. J'ai retroussé mes manches, cerclé un jour dans mon agenda, sué à l'idée de me lancer. Et... j'ai commencé à écrire. Chaque jour. Chaque. Jour.
CâĂ©tait il y a un an. Voici mon bilan :
Jâai Ă©crit tous les jours. Enfin presque (ahum). Je nâai pas Ă©crit 365 jours non stop. Jâai Ă©crit toute lâannĂ©e, presque tous les jours. Je prĂ©fĂšre voir le verre Ă 90% plein. Ce qui mâimporte le plus, câest dâĂȘtre fidĂšle Ă ma pratique de lâĂ©criture sur le long terme. De dĂ©lier les mots, dâexercer ma plume rĂ©guliĂšrement. Et surtout, de ne pas arrĂȘter.
Mais pourquoi tous les jours ?
Ecrire, câest courir le marathon du mot. Seule une pratique rĂ©guliĂšre permet de mieux respirer, de se muscler, de gagner en souplesse, dâapprendre Ă connaĂźtre ses limites, de les faire bouger. En bref, dâĂ©voluer. DĂšs lors que lâon a envie dâĂ©crire pour progresser ou faire avancer un projet, il faut Ă©crire rĂ©guliĂšrement.
A vous de dĂ©terminer la frĂ©quence qui vous permet de progresser avec assiduitĂ©. Cette frĂ©quence doit ĂȘtre⊠frĂ©quente. Mais elle nâest pas forcĂ©ment quotidienne.
« Je ne dis pas que ma méthode soit la bonne,
mais jâaffirme quâelle est prĂ©fĂ©rable au silence pudibond.Ecrire tous les jours, gĂ©nie ou pas. » Georges Perec, lettre Ă Jacques Lederer
mais comment y arriver ?

le secouage de puces
Le plus dur nâest pas de relever le dĂ©fi. Le plus dur est de dĂ©cider de relever le dĂ©fi. Pour moi, le chemin a Ă©tĂ© tortueux, abrupt, semĂ© dâimpasses et dâembĂ»ches avant dâarriver Ă cette Ă©tape. Le fait de le rĂ©aliser mâa aidĂ©e Ă prendre la bonne direction.
Dâabord, jâai longtemps pensĂ© que si je devais Ă©crire, ça viendrait tout seul. Ce serait naturel, fluide. Il fallait improviser, plutĂŽt que ritualiser. Un truc que tu aimes faire, tu nâas pas Ă te forcer, non ? Câest faux.
TĂŽt le matin, tard le soir, je ne trouvais jamais le bon moment. Quelque chose venait toujours se glisser entre mon styo et moi. La fatigue, une machine Ă lancer, une charrette Ă boucler. Plein de raisons raisonnables. Et surtout, au fond de moi, une voix diabolique qui tuait dans lâoeuf toutes mes aspirations.
TrĂšs jeune, on a plantĂ© cette idĂ©e en moi : Ă©crire, ça ne rapporte rien. Peanuts. Heureusement, jâai trouvĂ© un mĂ©tier qui invalidait cette vĂ©ritĂ©. Longtemps, jâai Ă©crit tous les jours pour les autres. Jâen ai Ă©tĂ© heureuse. Câest un exercice que jâadore (car il est plus facile de faire dire des choses aux autres que de les dire soi-mĂȘme).
Ca a Ă©tĂ© plus rare que jâarrive Ă Ă©crire tous les jours pour moi. Ecrire pour soi, câest plus difficile. Quand je dis « Ă©crire pour soi », câest « Ă©crire en son nom » (on Ă©crit fondamentalement pour quelquâun, mais câest un autre sujet). Ecrire pour soi, ça ne rapporte que des cacahuĂštes. Câest souvent moins prioritaire.
que tu as toujours aimĂ© Ă©crire, que tu Ă©cris toujours, depuis toujours, du plus loin que tu tâen souviennes, un peu par ici, un peu par lĂ , un dimanche soir avant dâaller te coucher, un matin sur le chemin du boulot, dans un carnet, sur ton tĂ©lĂ©phone portable, sur un document Word, aux toilettes ou dans la file dâattente au supermarchĂ©, tu me comprendras.
On peut aimer faire quelque chose, adorer, surkiffer. Se dire « je le ferai quand jâaurai le temps ». Bilan Ă la fin de la semaine : on nây est pas arrivĂ©. Bilan Ă la fin de lâannĂ©e : on reprend des rĂ©solutions. Bilan Ă la fin de sa vie : on a laissĂ© passĂ© sa passion, sa raison de vivre. Oui câest une vision tragique, jâai vu huit fois Autant en emporte le vent.
Ce constat dramatique mâa ouvert les yeux. Jâaime Ă©crire, mais je me suis perdue en chemin. LâĂ©criture me plaisait profondĂ©ment, mais ce nâĂ©tait pas ma prioritĂ©, câĂ©tait une promesse perdue. Jâen suis venue Ă cette conclusion ferme, radicale, dĂ©finitive : « si je nâĂ©cris pas tous les jours, je nâĂ©crirai jamais. » MĂȘme : si je nâĂ©cris pas tous les jours, je nâĂ©cris pas.
DĂ©cider dâĂ©crire avec rĂ©gularitĂ© a Ă©tĂ© un engagement crĂ©atif fort. Je suis fiĂšre de lâavoir pris. Peut-ĂȘtre es-tu Ă ce mĂȘme carrefour oĂč je me suis trouvĂ©e il y a un an, peut-ĂȘtre es-tu sur ce mĂȘme chemin sinueux que jâai parcouru, peut-ĂȘtre es-tu au-delĂ . Ce billet est un retour dâexpĂ©rience pour tâaider Ă dessiner ton propre chemin, Ă toi.
Dis-moi en commentaire đ Quelle est ton histoire ? ton lien Ă lâĂ©criture ? ton rapport avec ta pratique ? tes envies ? As-tu envie de te mettre en selle plus rĂ©guliĂšrement ?
đ„ ParenthĂšse-vidĂ©o
Petite, je rĂȘvais dâĂȘtre Ă©crivain. Ma motivation liĂ©e Ă lâĂ©criture vient de lĂ . Toi aussi, peut-ĂȘtre ? Abonne-toi Ă ma chaĂźne : jây parle crĂ©ativitĂ© !
le balisage du terrain
Pour Ă©crire tous les jours, faut-il un plan de route ? Ca dĂ©pend de vous et de votre niveau de pratique. Quand on dĂ©bute, mieux vaut sâimposer un cadre â le temps de prendre une habitude, de la mettre en place.
Moi, jâavais besoin dâun cadre rigide au dĂ©part. Pour ne pas dĂ©vier de mon chemin, je devais mâimposer des rĂšgles. Au fil du temps, jâai pris confiance, jâai amĂ©nagĂ© les contours de mon cadre. Mais je dois veiller Ă rester disciplinĂ©e pour ne pas dĂ©raper.
configuration de départ

Ă©crire tous les jours au mĂȘme endroit, au mĂȘme moment, dans la mĂȘme configuration
Les premiers mois, jâutilisais un logiciel dâĂ©criture pour bloquer toute notification (dâabord FocusWriter, puis ColdTurkeyWriter â tous deux gratuits). Quand mon habitude sâest solidifiĂ©e, je les ai troquĂ©s contre un simple Ă©diteur de texte.
Je suis sortie de ma paresse crĂ©ative. Je crĂ©e un document par jour et je le stocke dans un dossier, dont lâicĂŽne, pile au milieu sur mon bureau, est intitulĂ©e de maniĂšre trĂšs suggestive : « Write 1 doc a day ». Le fait de voir la liste des fichiers sâagrandir matĂ©riellement et quotidiennement est super motivant. Lâaccumulation me donne une preuve concrĂšte. En sauvegardant mon fichier avec la date du jour, je rajoute chaque fois une pierre Ă lâĂ©difice. Jâai un sentiment dâaccomplissement enivrant et libĂ©rateur â tu vois ou pas ?
Au cours de lâannĂ©e, jâai dĂ» changer plusieurs fois dâorganisation pour mâadapter Ă des contraintes personnelles ou professionnelles. Lâhabitude Ă©tait prise, jâai pu continuer lâĂ©criture quotidienne. (Il paraĂźt quâil faut 30-40 jours pour sceller une habitude.)
Ă toi de fixer tes balises !
Imagine-toi dans un magasin, prĂȘt Ă partir en rando. Le vendeur te conseille de choisir des boots de randonnĂ©e, montantes pour protĂ©ger la cheville, une taille au-dessus pour que le pied puisse gonfler. Le conseil classique.
Si tu dĂ©butes, il est sage de suivre son conseil. Si tu as plus dâexpĂ©rience, tu peux faire autrement. Certains randonneurs marchent en montagne avec des chaussures de trek basses, plus lĂ©gĂšres et souples, tout en faisant attention Ă leurs chevilles. Ils ne sont pas inconscients, mais⊠expĂ©rimentĂ©s.
Te connaĂźtre tâaidera Ă fixer tes moyens et tes objectifs : nombre de mots / pages / temps passĂ©. Comment marches-tu le mieux ? Quâest-ce qui te motive : le nombre de kilomĂštres, la rĂ©compense finale, lâenvironnement, ton compagnon de route ?
Si tu nâas pas ces rĂ©ponses au dĂ©part, elles viendront en chemin. Opte pour une routine simple, classique, accessible. Suis-la. Laisse tes pieds, enfin⊠tes mains, se faire en cours de route, ton expĂ©rience se construire. Avec le temps, tu sauras mieux ce qui te convient : Ă©crire le matin, le soir, sur ton lit, Ă une table.

le remontage de manches
Le point de dĂ©part est posĂ©. Il est temps de partir. Une fois quâon est prĂȘt, dĂ©cidĂ© Ă se lancer, le dĂ©but du chemin est souvent plus facile quâon ne sây attendait. Au bout dâun mois dâĂ©criture quotidienne, mon auto-satisfaction Ă©tait Ă son apogĂ©e. JâĂ©tais contente de rĂ©ussir Ă Ă©crire tous les jours pour moi pour la premiĂšre fois dans ma vie :
Depuis un mois, jâĂ©cris TOUS LES JOURS. Yihaaa ! JâĂ©cris ce message les bras en bas sinon ce ne serait physiologiquement pas possible, mais mentalement jâai les bras ouverts en signe de V. V comme victoire. En langage dâĂ©moticĂŽne : \o/
Jâai Ă©crit tous les jours, punaise. Cette annonce a la mĂȘme valeur pour moi que si je te confiais que je ne fumais plus depuis un mois (si tu as Ă©tĂ© fumeur dans ta vie, tu sais). On passera sous silence les rares jours de rechute, ceux oĂč ça nâa pas marchĂ© pour des raisons irrĂ©sistibles. Chut⊠Sur une base tendancielle, jâai Ă©crit tous les jours.
Je nâai pas craquĂ©. Je nâai pas souffert. Je nâai pas crachĂ© mes poumons. Je nâai pas pleurĂ© sur le clavier (enfin si, juste une fois). Je nâai eu aucun symptĂŽme Ă dĂ©plorer. Ca mâa juste fait beaucoup de bien. Pour cette raison, je peux maintenant affirmer haut et fort, avec joie et fiertĂ© : je vais continuer. Encouragez-moi bien fort. Le spectacle ne fait que commencer, les gars. *
Je nâai aucun syndrome de la page blanche Ă dĂ©plorer (pour lâinstant). Je vogue. JâĂ©cris sans but. Sur tout et sur rien â surtout sur rien. Mon unique fil conducteur, câest dâĂ©crire avec sincĂ©ritĂ©. Jâai Ă©crit sur des sujets qui me tiennent Ă coeur, ravivĂ© des souvenirs, explorĂ© des pensĂ©es insoupçonnĂ©es. Bizarrement, jâai beaucoup Ă©crit sur lâĂ©criture.

đ Ca, câĂ©tait mon tĂ©moignage au bout dâun mois (enthousiaste). Les passes difficiles sont venues aprĂšs.
Je dĂ©couvrais en route la topographie dâun chemin que jâignorais. Je nâavais pas de projet en tĂȘte quand jâai installĂ© ma routine dâĂ©criture. Je voulais Ă©crire pour Ă©crire. Me laisser surprendre, voir ce qui allait Ă©merger.
Au dĂ©but, jâĂ©tais prolifique. Les Ă©crits sâempilaient. Jâen ai publiĂ©s sur mon blog. Au fil du temps, le syndrome de la page blanche sâest manifestĂ© de plus en plus. Ce matin, sur quoi je pourrais bien Ă©crire ? Je sĂ©chais.
Comment tenir dans le dur, dans la montĂ©e, dans lâeffort ? Les objectifs quantitatifs, les dĂ©tails de ta routine ne doivent jamais te faire oublier tes objectifs ultimes. Pourquoi tu fais ça. Ta motivation. Qui donne le cap. Et pour quoi tu fais ça. Ton projet. Qui donne le cadre.
Quand je me sens perdue, je me raccroche Ă mes motivations. JâĂ©cris parce que jâaime Ă©crire, parce que jâaime ĂȘtre utile aux autres, et que câest en faisant ce que jâaime le plus, que jâai lâimpression de leur apporter le plus. Ces pensĂ©es sont puissantes.
Elles ne suffisent pas. Jâai commencĂ© Ă manquer dâun projet. Dâun projet fort, qui me tienne Ă coeur, pour lequel je me mobilise concrĂštement tous les jours. Mon problĂšme peut paraĂźtre Ă©trange. Quand on Ă©crit, on a souvent un projet en tĂȘte : un roman, un livre, une auto-biographie, un blog⊠Je faisais du dĂ©ni dâĂ©criture.


LâĂ©criture, câest une aventure
Tu es ton capitaine. Tu as ton cadre, ton cap. Mais lâĂ©quilibre bouge, câest la vie. Pour accompagner mon aventure, jâai trouvĂ© ça trĂšs libĂ©rateur dâavoir un journal de bord : mon journal intime. Tout au long de lâannĂ©e, des journaux dâĂ©crivains ou livres sur lâĂ©criture mâont aussi accompagnĂ©e. Comme le Writerâs Diary de Virginia Woolf. Lire quâun grand Ă©crivain a lui aussi ses doutes, souffre sur son chemin de croix, ça permet de relativiser, dans son petit coin.
Toi đ Câest quoi ton aventure ? Quâest-ce qui te FORCE Ă Ă©crire ? Quel est le projet que tu rĂȘves de rĂ©aliser ?
le recadrage
Un an aprĂšs, jâen suis Ă cette phase. Je fais le point. Jâajuste tous les paramĂštres. Mes perspectives au bout dâun an dâĂ©criture ont changĂ©. Câest pour cette raison que jâai mis Ă jour ce billet, initialement publiĂ© au bout dâun mois dâĂ©criture quotidienne. Elles sâapprofondiront encore, sans doute. Pour 2019, jâai relancĂ© mon dĂ©fi autour de projets mieux dĂ©finis.
Depuis septembre, je publie chaque semaine la Lettre CrĂ©ative, une lettre Ă©crite pour tâaider Ă surmonter tes obstacles et te lancer dans le marathon crĂ©atif. Inscris-toi ! đ
Article sympaâ et prĂ©sentation originale đ
Merci anonyme âșïž
Bonjour, Par hasard? sur votre page, juste avant de me lancer dans le rĂ©cit, bref , de ma journĂ©e de la veille, sur mon journal qui aâŠ? bah en fait, je ne sais plus, mais jâai commencĂ© en ligne sur 750words, il y a au moins 6/7 ans, et je nâai plus arrĂȘtĂ©. jâĂ©tais dans une pĂ©riode trouble et lâĂ©criture mâa aidĂ© Ă dĂ©poser les choses.
JâĂ©cris par peur dâoublier, pour rĂ©viser, pour me remĂ©morer des Ă©vĂ©nements, comme une catharsis de la journĂ©e ou de mon vĂ©cu. Mes slips deviendront-ils des reliques ? le fait-je pour ĂȘtre lu ? câest toujours lâambivalence qui prime. Jâaimerai que mon fils le lise, mais jây inscrit parfois des choses tellement intimes, que cela ne le concernerait pas. Alors pourquoi? pour aller oĂč? je ne suis pas sĂ»r de suivre une trame, en dehors, de matin, midi et soir et des Ă©vĂ©nements marquants, je nâapprends ni ne dĂ©veloppe un style, ne raconte pas dâhistoire. JâĂ©cris et je suis parfois stressĂ© de ne pas lâavoir fait, la vie mâĂ©chapperait-elle? LĂ , elle se pose, sur le papier word, je la maĂźtrise, la tient, je vieilli moins vite, dâailleurs, je ne fais pas mon Ăąge, câest surement le secret.