Est-ce cool de vivre à Bordeaux ? Vite fait, je dis oui. Mais cette question me dérange. J’ai du mal à y répondre de manière linéaire. J’ai grandi à Bordeaux, et j’ai voulu en partir. J’y suis revenue sans réellement l’avoir cherché.
Bordeaux a le vent en poupe. Dans la presse, les titres à ce sujet sont légion. A tel point que je me suis demandée si cela valait la peine d’écrire là-dessus. L’info est ailleurs. Mais j’ai eu envie d’affronter la question. Ce billet est aussi une introspection.
« Cette ville où nous naquîmes, où nous fûmes un enfant, c’est la seule qu’il faudrait nous défendre de juger. Elle se confond avec nous, elle est nous-mêmes. » François Mauriac, Commencements d’une vie
👆 Vues sur la Garonne & glycine du Jardin Public : la douceur de vivre à Bordeaux. En ce temps d’hiver, ça fait du bien de revoir des paysages à feuilles, non ?
J’ai grandi à Bordeaux. J’aimais beaucoup ma ville. Mais j’ai voulu partir. A 19 ans, mon projet d’évasion aboutit : je pars un an à Amsterdam. A la fin de mes études, je monte à Paris. L’acclimatation est dure. Je ne connais personne et enfile mon manteau d’octobre à juin. Mais je mords à l’hameçon.
Je tombe sous le charme de Paris. Peu importe la fatigue du rythme, j’accroche à son énergie et cosmopolitisme. A Paris comme à Amsterdam, j’évoluais dans un heureux mélange de gens. J’y ai fait des rencontres qui ont changé ma vie. J’ai pû vivre sans être vue. Certains ne supportent pas. Moi j’aime la sensation de liberté que ça procure.
Par contraste, ça m’a éclairée sur une chose : à Bordeaux, j’étais à l’étroit. Je ne m’en rendais pas compte tant que j’y étais. L’entre-soi local m’étouffait. J’évoluais dans un monde où les gens étaient relativement semblables. Il y avait très peu de place pour être différent.
Les nouveaux venus ici confient souvent ce constat : c’est dur de s’intégrer. Est-ce propre à Bordeaux ? Je ne sais pas. Quand on arrive quelque part, ça demande toujours des efforts de s’intégrer. Se mélanger dans les villes de moindre envergure, ça peut être plus dur. Bordeaux est une grande ville, mais une ville de province : ça ne plaît pas toujours.
Mettre une étiquette sur les Bordelais, en 2018, reste délicat. Bordeaux a grandi en accueillant beaucoup de personnes du reste de la Gironde, du Grand Sud-Ouest, de la région parisienne ou d’ailleurs. C’est une métropole aux identités multiples. En fonction des rencontres, des quartiers ou des réseaux dans lesquels on évolue, les expériences peuvent être très différentes. Mais c’est partout comme ça, non ?
👆 Saint-André. Mé́riadeck. Petite rue près du tribunal. Photographiés cet été.
Je ne pensais pas revivre à Bordeaux un jour. Quand je change d’endroit, je change. Je n’avais jamais expérimenté le fait de revenir dans un lieu sans le découvrir de zéro. Alors oui : tout est familier, donc plus facile. Mais notre regard est moins enchanté. Les endroits ont changé, mais sont… les mêmes. Je n’ai un regard ni naïf, ni chauviniste sur la ville. Je l’ai expérimentée adolescente puis étudiante, je l’expérimente maintenant adulte. Je suis très heureuse d’avoir « vu du pays ».
Par rapport au Bordeaux d’avant (la Belle endormie des années 90), on a gagné en cadre de vie. Le centre-ville était saturé de voitures. Les façades noires. Aujourd’hui, le centre appartient aux piétons et aux cyclistes. Les façades ont été ravalées. Tout est plus clair, respirable, agréable. Si on enlève les moustiques, la pluviométrie hivernale assez forte et les épisodes caniculaires, le climat est bon. On s’y sent bien.
La ville est belle. Certains endroits sont trop lisses à mon goût : le Cours de l’Intendance, les grandes places dénudées comme Pey Berland ou Saint-Michel, le passage Sainte-Catherine. Mais j’arrive à trouver mon lot de choses charmantes et biscornues : les petites rues, les petites places, les petites boutiques. J’adore le Parc des Angéliques sur la rive droite – plus verdoyant que les quais de la rive gauche. Ca donne un supplément d’âme à la ville.
J’entends souvent dire que Bordeaux, dans les années 70-80, c’était plus fun, que la Victoire était plus festive. Depuis les 90’s-00’s, on a gagné en dynamisme, j’ai l’impression. Il y a suffisamment de bars et de bistrots pour ne pas avoir toujours l’impression de manger au même endroit. Bordeaux détient un record avec 1 resto pour 285 habitants. Il y a plus d’adresses qu’avant, et plus de diversité culinaire qu’avant. On peut manger autre chose qu’un confit de canard.
Il y a une vie culturelle (même si c’est pas l’aspect dont je profite le plus depuis que je suis maman – avouons-le). On compte des grands rendez-vous dans l’année, plusieurs salles dans l’agglomération avec des programmations différentes et complémentaires. Niveau cinéma, on a une offre locale : les grandes salles et multiplexes, comme les cinémas indépendants (vive l’Utopia !).
Les lignes ont bougé et bouge encore. Bordeaux n’est plus figée. La ville change. Elle grossit : +50 000 habitants de 2010 à 2015. Des endroits ferment, d’autres ouvrent. Des rues entières se sont métamorphosées. Des ponts, des monuments sortent de nulle part. J’entends plus parler anglais, allemand, néerlandais, japonais. Il y a plus d’internationaux, de « Parisiens », de gens venus d’ailleurs. Comme toutes les choses qui bougent, ça fait peur, ça interroge. Mais la dynamique fait du bien.
👆 Bordeaux l’hiver : pluie et temps gris. Bordeaux l’été : chaleur et temps d’orage.
J’ai pris conscience de trucs de grands que je n’avais pas en tête avant : trouver une maison et un travail salarié relèvent du défi. On est dans un marché de l’immobilier et un bassin d’emploi sous pression. Beaucoup de personnes projettent de s’installer sur Bordeaux et déchantent pour ces raisons. Il faut être patient, persévérant et vraiment motivé.
Niveau immobilier, la demande est très forte et l’offre très limitée. Les prix ont pris +10% depuis 2015. Il faut être super réactif dès qu’une annonce vous intéresse. Les agences immobilières ont des listes de potentiels acquéreurs très longues. Les professionnels de l’immobilier décrivent un emballement incompréhensible sur des quartiers comme Les Chartrons.
Niveau travail, à moins de travailler dans l’informatique ou l’aéronautique, ou de trouver direct un emploi chez un des gros employeurs du coin (CDiscount, Safran, Thalès, Pichet..), il est dur de trouver un boulot si vous avez un profil de cadre expérimenté. Les recrutements passent par le réseau. La mobilité des cadres est faible. Les salaires sont bas. Dans mon domaine (la communication), c’est quasi mission impossible de trouver un poste. Ce reportage résume bien la réalité-terrain.
C’est sans doute ce qui alimentent les comportements anti-Parisiens de certains. A mon arrivée/retour à Bordeaux, j’ai pû moi-même sentir une méfiance/défiance. Dès que je disais « j’ai grandi à Bordeaux », les verrous se levaient. Une approbation était tout de suite plus ou moins verbalisée. Je n’étais pas dupe.
J’espère que la situation se décantera en positif, que ces contraintes vont pousser l’esprit d’entreprise, les réseaux d’entraide, que l’immobilier va se débloquer. Je suis plutôt positive. L’avenir nous donnera la réponse. Pour l’instant les challenges sont importants.
Plus de gens, plus de traffic, plus de bouchons. En centre-ville, mieux vaut être à vélo. Ici, phénomène rare : les boulevards… vides.
Le gros avantage compétitif de Bordeaux, c’est son territoire. C’est ce qui me donne vraiment envie de lever le pouce vers le ciel. En amoureuse des balades et de la photo, je ne peux qu’avoir un discours propagandiste : la Gironde est belle. Elle est généreuse, sympathique, photogénique, elle sent bon.
L’océan, les lacs, le Bassin d’Arcachon, les landes, les vignes, la campagne, la ville, les parcs… comment avoir autant de choix aussi près de nous ? J’ai mis du temps à m’acclimater à Bordeaux : revenir d’une expatriation, se réinstaller dans une ville sans le bonus de la découverte (ce qui faisait mon quotidien en Californie), c’est particulier. La beauté et la diversité des paysages autour de nous m’a permise de raviver la flamme.
Quand on veut voir ailleurs, on est pas loin d’endroits top non plus : la Dordogne, les Landes, le Pays-Basque, les Pyrénées, le Lot, le marais poitevin, la Rochelle, Toulouse, l’Espagne… (hey Paris à 2 heures !) La liste est à rallonge.
Pour cette raison, les gens sont beaucoup sur la route le week-end (un Bordelais sur deux, il paraît). Il faut trouver des techniques de Sioux pour éviter les embouteillages du vendredi soir ou du retour de la plage le samedi et le dimanche, et rester calme quand certains roulent à 110 sur les étroites routes en direction de l’océan. Mais si l’on veut prendre le large, profiter de la nature et du calme, c’est possible.
“Aujourd’hui, tu es plus d’humeur Cap Ferret ? Médoc ? Entre-deux-mers ?”
👆 Des bois à la mer : diversité des paysages. Il est dur de se lasser de cet aspect multi-facettes !
Je suis revenue vivre à Bordeaux. Je ne m’y attendais pas. Ma fille est née ici. Je m’y attendais encore moins. Refaire toutes ces découvertes avec un enfant, c’est encore différent. De nouvelles histoires s’écrivent. De nouvelles strates de vie s’accumulent. Et je consolide ma dream list d’escapades locales…
Et toi, veux-tu vivre à Bordeaux ? Ou y vis-tu déjà ? Raconte-moi ce que tu penses de la ville ! Je suis toujours curieuse de savoir comment elle est perçue. Je publie quelques unes de mes photos sur Instagram. On peut aussi faire connaissance là-bas !
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