La poésie, un pudding immangeable ?
Je retourne dans les terres brunes du Pays basque, bientôt. Je vais lire Ramuntcho pour me mettre dans l’ambiance. Dernièrement, avec mon café du matin, j’ai lu des bouts d’Emily Dickinson. Son recueil de poésies « Lieu-dit de l’éternité » trône depuis des lustres chez moi. Une version bilingue, toute propre, pas écornée, la tranche très lisse. Vous en déduirez que je l’ai très peu lu. Et vous aurez raison.
C’est la seule poétesse que je connaisse. « Connaître » est un bien grand mot : je sais juste qu’elle a eu un mode de vie d’ermite, faisait des herbiers, écrivait des vers pas très joyeux dans le Massachussetts.
Emily Dickinson a cette image du poète maudit, torturé, comme Rimbaud ou Keats. Cette image qui sacralise un romantisme douloureux et valide la thèse selon laquelle le bonheur ne peut durer, la vie n’est que souffrance, tout se finit mal. Forcément.
👆 Bright Star, le film de Jane Campion sur John Keats. Je l’avais vu, seule, dans un vieux ciné à Paris, sur un fauteuil mou qui en a trop vu. La fin est terrible, l’actrice joue super bien. Le trailer est gnan-gnan, mais j’avais aimé le film.
Dans une errance sur le Web, je suis tombée sur une recette de gâteau d’Emily Dickinson. Après mon billet-muffin de cet été, je me suis dit : pourquoi ne pas faire son gâteau ? J’ai déroulé l’énorme liste d’ingrédients — certains incongrus : de la mélasse, de la poire sèche, du sirop de brandy. Hum, je vais y réfléchir.
Le gâteau, une sorte de pudding massif, était préparé dans une quantité monstrueuse, puis gardé pendant un mois. Des bibliothécaires de Harvard ont refait la recette. Elles ne disent pas s’il est bon. C’est super suspect.
👇 La recette du gâteau d’Emily Dickinson (Houghton Library, Harvard University). Et si je la tentais dans une vidéo ? 😅 Truc relou n°2 : convertir les pounds en grammes — le truc qui me rendait folle quand j’étais aux Etats-Unis.
La poésie est un pudding massif. A sa manière. Je n’en mange que dans des moments extraordinaires. Mon salon héberge des classiques : Prévert, Verlaine, Rimbaud, Appollinaire. Je pioche parfois un recueil, l’ouvre, regarde sept secondes dedans avec l’instabilité mentale d’un serial scroller sur Facebook. C’est joli, je referme.
J’aime l’idée d’avoir de la poésie. Pour me montrer qu’elle existe dans la vie. Selon la thèse (à laquelle je souscris plus) que la poésie apporte de la magie. J’aime la poésie, car on peut être volatile, la lire, la quitter, y revenir. J’y reviens toujours, même si je préfère la prose aux vers qu’on picore.
Mon grand-père récitait des poèmes entiers par coeur. Je garde dans mon bureau un recueil de Victor Hugo qu’il m’avait donné – très vieux, tout jaune, aux pages qui se détachent. Bref, éculé. Je l’ouvre rarement, mais c’est un talisman. Comme un livre à garder par superstition, près du coeur, pour qu’il vous protège.
J’écrivais de la poésie sur mon ancien blog, Magouille. Un jour, un copain m’a avoué (sous la torture des mots) : « je n’ai rien compris ». J’ai arrêté. Le dernier poème que j’ai écrit, c’était pour les 30 ans de mon amie Armoule. Un 09/09. « Neuf n’oeufs, c’est la fête, on fait une omelette. » Hum… J’ai bien fait d’arrêter.
Mais c’est ça qui est bien avec la poésie : on peut écrire n’importe quoi, c’est de la poésie. On ose. On donne le sens qu’on veut aux mots. Les alexandrins, sonnets, élégies, calligrammes ont leur part de mystère insoluble. La rime sauve tout car ça sonne bien. La poésie a le droit d’être balbutiante, inarticulée, chevrotante, embryonnaire. C’est une écriture de l’émotion.
Hasard ou nécessité ? Je retrouve la poésie alors que je commence la méditation. Avec la poésie, on se recueille. Contemplations d’Hugo, Méditations poétiques de Lamartine… les poètes sont des méditants avec un alibi.
En méditation, j' »avance ». J’ai fini le livre de Christophe André, que j’aurai aimé lire quinze ans plus tôt. Je suis un cours avec une amie. Démêlés avec mes pensées, instabilité du corps… je frise l’échec à chaque essai. C’est un chemin sinueux, tordu, obstrué de ronces enchevêtrées. Un château au bois dormant est caché dedans. J’y crois fort.
Quand un(e) lecteur(rice) commente un billet en me disant « c’est très poétique », je suis joie. Puis mon surmoi débarque. Est-ce que c’est pas comme regarder de l’art moderne et dire « c’est intéressant » ? La poésie est à double tranchant : utile mais futile, futile mais utile.
Trublion regarde ma 🎥vidéo sur la lecture (vu qu’il a l’oreille, c’est mon valideur-son). Il me dit qu’il aime, mais que c’est pas accessible à tout le monde. Rrrra. J’ai peur de faire des choses obscures là où je veux mettre de la lumière. Les choses complexes ne me dérangent pas, mais j’aime la simplicité.
La poésie est simple. Quand je lis Emily Dickinson, ça me le rappelle. Peu de mots, des vers courts pour des idées vastes. Dire plus. Plus fort. Plus grand. Peut-être que je devrais m’y remettre… Qu’est-ce que vous en pensez ? 😂
Je crois qu’Emilie Dickinson me plairait beaucoup.
Je suis fan de la puissance malgré / grâce à l’économie des mots .
J’aime les haïkus.
Et j’aime ce que vous partagez, merci à vous pour vos futilités utiles 💕.
Fabienne